(c'est un repost d'un ancien site)
Cet article se veut une réflexion en réponse au podcast éponyme de Frugarilla.
J'imagine qu'on peut comprendre "essentiels" comme relevant du numérique dont on ne peut plus se passer. Pas dont on ne veut plus, mais dont on ne peut plus car il apporterait "trop" de valeur ajoutée.
Je vois personnellement plusieurs manières d'interpréter ce terme d'"essentiels" :
Le podcast aborde également (dans son épisode 8, qui ne semble pas encore référencé en ligne sur la page web ci-dessus), la notion de "faire rentrer le numérique dans les limites planétaires" : ça voudrait dire qu'on peut faire "un peu" de numérique, de manière à ce que le résultat :
Autant on pourrait imaginer respecter le premier point (impact sociaux), autant le deuxième me semble compliqué, car les limites planétaires sont partagées par toutes les activités humaines, sur toute la planète. Cela veut dire qu'on devrait dimensionner les activités humaines les unes par rapport aux autres, de telle manière à ce que l'impact de l'ensemble reste sous les limites planétaires.
Ca veut dire arbitrer : si je te mets un peu plus de numérique, tu acceptes un peu moins de santé (IRM, robots chirurgiens, recherche médicale) ? Plus de numérique, mais moins d'intrants chimiques dans les champs ? (qui va tenter les négociations avec la chimie agricole ?) Dans l'idée c'est intéressant (plus de numérique et plus de Bio !), mais est-ce qu'on pourra trancher ? Je donne un exemple simple, mais quand on voit toutes les activités humaines grignotant les limites planétaires, c'est tous les domaines des civilisations qu'il faudrait mettre en balance les uns par rapport aux autres, en tenant compte des spécificités, besoins et attentes des différentes parties du monde (un monde fortement numérisé et industrialisé tel que le Nord de la planète pour faire court n'aura évidemment pas les mêmes priorités qu'un pays en développement du Sud, voire un pays du-dit "tiers monde").
Le dernier point qui m'interpelle, c'est que, même dans l'hypothèse où l'on pourrait imaginer pouvoir définir et instaurer des "numériques essentiels", à partir du moment où le numérique utilise des ressources en quantité finie (cuivre, métaux rares, chimie polluante visant à fabriquer des alliages non recyclables...) comment peut-on espérer maintenir dans le temps ces services numériques ?
C'est enfin le dernier point qui m'interpelle : Qu'advient-il de notre autonomie lorsque nous nous en remettons à du numérique (ou de la technologie en général) ?
Bien que le numérique ait apporté d'indéniables bienfaits, le prix à payer, caché, est généralement lourd :
Ce qui me fait dire que je dois remonter dans ma pile de lecture les ouvrages d'Ivan Illich concernant le monopole radical. Mais là où Illich se limite (limiterait, je n'ai pas encore lu en détail) au :
[...] monopole induit d'une ou plusieurs marques visant à modifier, contrôler et à terme contraindre des populations à modifier radicalement (d'où l'épithète « radical ») leurs habitudes quotidiennes notamment en restreignant leurs choix et leurs libertés.
(Wikipedia monopole radical)
À cette inquiétude légitime d'Illich, je voudrais rajouter l'inquiétante dépendance à des technologies dont l'avenir n'existe pas, car nécessairement fini, comme les ressources sur lesquelles elles s'appuient (cf. la notion de technologies zombies). La dépendance mentionnée par Illich doit selon moi être associée à la perte de capacité à faire soi-même par complexification du domaine dont l'exploitation ne devient possible qu'à la seule condition de la poursuite de l'usage de ces technologies. Et lorsque les ressources nécessaires à ces technologies viendront à manquer, il ne sera pas juste nécessaire de retourner au "monde d'avant", mais il nous faudra réapprendre, déconstruire ce que la technologie aura conçu, reconstruire un monde adapté au low-tech (voire no-tech), voire régénérer ce qui aura été détruit, en espérant que cette destruction n'aura pas été définitive (à l'échelle humaine).
La technologie rend faible (la mécanique remplace nos muscles), idiot (les moteurs de recherche remplacent notre jugeotte), incompétent (nous laissons des ordinateurs faire à notre place), ignare (l'information est en ligne, pourquoi l'apprendre) et asocial (non les réseaux sociaux n'aident pas à tisser des liens avec nos congénères). C'est à dire que dans le triptyque "tête, main, coeur", la technologie fourni des services à court terme en détruisant la capacité long terme.
Ainsi, en écrivant cette diatribe, je me sers d'un ordinateur, chez moi. En espérant faire passer un message, je contribue à poursuivre mon isolement (et celui de mes éventuels lecteurs) plutôt que chercher une caisse à savon et m'installer sur une place pour haranguer la foule (mais qui m'écouterait ?)